Assise à l'ombre d'un arbre, je contemplais sans les voir les plaines de Libremarche qui s'étendaient devant moi, perdue dans mes pensées. L'arrivée des élus avait profondément changé la société. Avoir eu l'occasion de mourir une fois vous donnait nécessairement un peu de recul lors de votre seconde chance, mais cet état d'esprit semblait avoir contaminé tout le monde à Méridian. Si vous rencontriez quelqu'un à la taverne, et que vous commenciez à discuter, vous vous rendez vite compte que soit votre interlocuteur se vouait corps et âme à la guerre en cours, soit qu'il a décidé de saisir sa seconde chance et de profiter pleinement de sa vie. Les altruistes et les égoïstes, en somme. La guerre montrait toujours ce qu'il y avait de meilleur et de pire dans chacun. Pour autant, pouvait on en vouloir à quelqu'un de vouloir saisir une opportunité de refaire sa vie ? Si vivre un peu pour soi signifiait être égoïste, alors mon choix était fait.
En ce moment, la mode du "profiter pleinement" était très liée au fait de s'afficher en couple sans retenue dans les lieux publics. Je pouvais comprendre cette envie d'aller à l'essentiel, de ne pas perdre de temps avec le superflu ou le regard d'autrui. Cela me mettait quand même parfois mal à l'aise, mais je dois reconnaitre ne pas être très démonstrative.
Ashaën devait être en train de dormir dans ma chambre. J'avais rencontré la milicienne quelques jours plus tôt à la taverne, juste avant qu'elle ne se blesse gravement au combat. Elle devrait se passer des nuitées à la belle étoile quelques temps. Même si elle avait assez peu laissé planer le doute quant à son attirance pour moi, Ashaën ne me forçait pas la main, et j'appréciais sa compagnie. Maître Kyan avait été beaucoup plus direct quand il m'avait avoué s'être attaché à moi. J'avais toujours un peu honte d'avoir mal réagi et fui la première fois. C'était simplement étrange de les avoir lui et Ashaën assis à la même table. Pas forcément agréable pour moi, d'ailleurs. Je savais qu'à un moment je devrais peut être y mettre le holà pour préserver ma liberté.
Malkarsh et Yriane m'avaient présenté à leur clan, et les premiers contacts s'étaient bien passés. J'avais laissé une lettre à un officier, afin de proposer mes services au clan. J'avais aussi envoyé une missive à l'estoc, demandant des instructions à mots couverts, et j'attendais que ses membres me contactent. Pas de travail... Je devrais peut être considérer l'offre qu'Asami semblait vouloir me faire. Je n'aimais pas travailler pour l'armée, mais la Kelari avait un esprit pratique qui ne s'embarrassait pas des considérations militaires habituelles. Ca en faisait une relation d'affaires agréable, et puis c'était une bonne combattante. Une aberration à un poste de commandement dans l'armée, mais bon, on était en temps de guerre et elle avait pris pour habitude de survivre aux combats, à la différence de ses supérieurs qui finissaient invariablement entre quatre planches quand ils ne servaient pas de nourriture aux corbeaux.
La course du soleil avait dépassé son zénith. L'heure de rentrer, et de voir quelles surprises me réservait cette journée...