Depuis cette fameuse nuit Gypsae se remettait doucement. Elle n'avait pas voulu laisser sa nièce s'occuper de tout faire disparaître, préférant laisser les choses se faire afin de ne pas oublier. C'était quelque peu présomptueux et quand elle se rendit chez Quleym afin de lui faire part du choix de Lilaen, elle était loin d'être au mieux de sa forme. Heureusement que pour ce genre de situation il existait de tas d'objets fort pratiques. La discussion était telle qu'elle l'avait prévue. Stérile, à sens unique et redondante. Elle lui dit à un moment que s'il voulait revoir Lilaen, il n'aurait qu'à venir à Neriak quand il le souhaitait. C'était cynique vu la situation du Teir'Dal mais Gypsae en avait cure. La concentration nécessaire que lui demandait à la fois la conversation, la surveillance des mouvements de Quleym et la tablette qu'elle tenait entre les mains avait raison rapidement de ses forces et elle avait finit par s'affaler contre un mur. Elle s'attendait à ce que le Teir'Dal en profite mais il n'en fit rien, lui demandant à la place si elle était malade. Malade ! C'était bien la dernière chose qui pourrait lui arriver en cet instant.
"... Non...
... Conséquences d'avoir laissé le choix à Lilaen..., lui avait-elle répondu."
Tout était dit entre eux et laissant un Quleym abattu, elle s'en retourna vers Neriak par des chemins détournés.
Le Manoir se refermait sur lui-même. Les modifications apportées suite aux derniers évènements transformaient le lieu déjà oppressant en forteresse. Y entrer était possible. Après tout les commandes en cours se devaient d'être honorées. En sortir serait une histoire bien différente. La Teir'Dal s'était retirée dans ses appartements, n'en sortant que rarement et laissant enfin le temps faire son oeuvre.
Luun était venu. Les filles l'avaient laissé passer sans poser de question, une façon de le remercier pour son intervention décisive. Ils avaient discuté un moment, mettant un point final à la brouille qui avait pu s'insinuer dans leurs relations. Ils s'étaient asticotés comme avant. Les choses reprenaient leur place qu'elles n'auraient jamais dû quitter. Lilaen ne serait plus un obstacle entre eux.
Elle se rendit compte qu'elle avait besoin de se détendre et songea que cela faisait quelques temps qu'elle avait négligé ses "invités". C'était un manque de courtoisie flagrant et Gypsae descendit dans les parties communes du Manoir mais avant d'avoir pu faire quoique ce soit, un toussotement l'arrêta. Ordonnant de fermer les portes, Gypsae se retourna cherchant d'où provenait ce bruit. La ... voix provenait du salon. Une des filles avait du mal fermer une porte car il était plutôt difficile d'accéder jusqu'à ce lieu mais porte fermée, il était surtout impossible d'en repartir. Les protections magiques étaient en place. Les portes étaient closes. Il ne restait plus qu'à son visiteur à se faire connaître.
Un Teir'Dal en armure rouille se tenait face à elle. Elle ne le reconnaissait pas. Sentant sa défiance, il eut l'air de s'excuser tout à coup
"Oh oui j'ai oublié d'enlever ça."
Ca, était en réalité un déguisement et sous les yeux ahuris de Gypsae se tenait Ayerown. Certes elle lui avait dit il y avait de cela fort longtemps qu'il pouvait venir à Neriak mais cela relevait plus de la boutade que de l'intention sérieuse et quand il avait dit qu'il viendrait chercher Lilaen, elle n'y avait pas plus cru.
Le paladin était là pour voir Lilaen, c'était son mantra, son leitmotiv. Gypsae l'avait enlevée à l'Amour, et patati et patata. À croire que quelqu'un s'amusait à arpenter les rues de Qeynos la nuit pour leur inculquer toutes ces fadaises pendant leur sommeil. Pour lui Lilaen était sa prisonnière, Gypsae avait été horrible avec elle en l'arrachant à celui qu'elle aimait. La Teir'Dal soupirait. Décidément le concept de choix et elfe noire devait leur être totalement abscons pour qu'aucun ne puisse admettre que cela fusse possible. Cela finissait par la rendre irritable. Ordonnant au paladin de reculer, elle entra à son tour dans la pièce. Elle se moquait qu'il fusse armé vu la distance qu'il y avait entre eux deux. Si Ayerown ne les voyait pas, Gardien, Ramsès et l'Esprit se tenaient toutefois derrière lui. Il ne savait très clairement pas où il avait pu mettre les pieds ce qui amusait la Teir'Dal. La discussion reprit à peu près où ils l'avaient laissée autrefois dans Antonica. Il était peu probable que le Déchu s'en souvienne toutefois. Pour un elfe il avait une mémoire d'humain.
Étrangement il avait beau ne pas la croire, il lui laissait encore et toujours le bénéfice du doute ce qui permettait à l'elfe noire de revenir à la charge encore et encore. Les vieux travers du paladin ressortait les uns après les autres et quand il avait ponctué une de ses phrases de "ma douce", Gypsae avait dû se retenir d'ordonner de l'assommer et le mettre aux fers. La discussion n'avançait pas d'un iota. Elle lui avait expliqué qu'il ne repartirait pas d'ici, il semblait s'en moquer totalement. À bien y réfléchir, il n'était même pas là pour lui-même mais pour ramener Lilaen à Quleym. Ce n'était plus le sens du sacrifice à ce niveau-là , c'était l'inconscience la plus absolue. Cela ne changeait pas grand chose néanmoins. Qu'il soit là pour lui ou pour un autre, Ayerown ne repartirait pas de sitôt et surement pas identique à celui qu'il était quand il était entré.
La discussion revenait une fois de plus sur les choix que Lilaen n'auraient pu faire à cause de l'elfe noire. Gypsae s'emportait, arguant qu'il était comme tous les autres aussi bornés et stupides, que son attitude et les jugements qu'il proférait n'était que poudre aux yeux qu'il se jetait à lui-même pour ne pas voir, que s'il n'avait été qu'une seconde capable de discernement il aurait compris que Lilaen avait été en train de mourir et qu'elle, l'ennemie, avait fait ce qu'il fallait et en avait, encore, payé le prix à leur place. Le paladin n'avait rien trouvé de mieux que se camper sur ses jambes et tenter de prendre la Teir'Dal en défaut.
"Montres moi."
Ca ce n'était vraiment pas compliqué, il lui avait suffit de remonter ses manches sur ses avant-bras pour surprendre le paladin. Au demeurant sa demande avait donné des idées à Gypsae et il y avait une méthode beaucoup plus simple pour faire plier Ayerown que l'art exquis de la conversation. Enfin c'était pour la théorie car en pratique il fallait qu'il commence par aller s'asseoir. Comment quelque chose d'aussi simple que poser son séant sur un coussin avait pu devenir aussi compliqué ? Gypsae avait finis par ordonner à Gardien de l'attraper par le col et le poser. Elle s'était même attendue à ce qu'il gesticule et tente de se relever mais à croire qu'il pouvait aussi parfois être raisonnable. Elle s'était ensuite glissée derrière lui et l'avait entrainé dans ses propres souvenirs. Elle lui avait dit que cela ne serait pas douloureux. Ce n'était pas parfaitement exact mais c'était bien loin de la torture à laquelle il aurait pu s'attendre. Elle commença par quelque chose qu'il pouvait comprendre, enfin selon elle. Une journée pluvieuse dans les Steppes tandis qu'elle voyageait avec Lilaen. Elle laissa défiler le souvenir puis laissa à Ayerown le choix d'en vivre un autre. Il savait ce qu'elle allait faire, il ne s'y opposa pas. Replaçant ses mains sur les tempes du Déchu, elle revint à la dernière nuit qui les obsédait tous autant qu'ils étaient. C'était trop proche, encore trop vivace mais au moins les choses seraient claires ensuite. Elle tissa pour lui encore une fois. Il accusait le coup quand il sentit sa propre lame le piquait, il serra les poings quand elle se battit contre Quleym, il fut avec elles quand Lilaen embrassa la Haine. Gypsae n'alla pas plus loin car ses propres souvenirs de cette nuit s'arrêtaient là . Elle remit de la distance entre elle et le paladin. Il restait armé, elle restait affaiblie par ce tissage.
Ayerown réfléchit un instant et fut obligé d'admettre qu'il la croyait. Peut-être aurait-elle dû commencer directement par là au lieu de ces arguties qui n'avaient mené nulle part... Elle annonça à Ayerown qu'il ne repartirait pas pour autant, il lui dit qu'il avait confiance et qu'il était bien là . Cela dépassait son entendement, il restait ahurissant de bout en bout.
"Tu n'auras plus confiance demain matin mon lapin, ajouta t'elle" en sortant de la pièce et en la refermant prudemment.
Elle n'eut pas besoin d'aller bien loin, son siège face à ses "invités" l'attendait toujours.