"Je me suis dis que garder un journal de bord serait une bonne idée pour ne pas oublier tout ce qui s'est passé, et tout ce qui se passera. Les paroles s'envolent, les écrits restent, comme disent les Humains. Alors moi, Ratongate, par soucis d'intégration, je dois me mettre au goût du jour.
Qui suis-je pour commencer ? Une simple ratongate ayant fait quelques Ă©tudes basiques de surveillante. Ca, c'Ă©tait avant que les Thexiens n'arrivent Ă Port-franc. Depuis leur arrivĂ©e, je n'Ă©tais ni plus ni moins qu'une vermine de plus Ă tourmenter. Je ne compte plus les coups de pieds reçus alors que je rentrais fatiguĂ©e des cours du soir aprĂšs une dure journĂ©e Ă travailler avec mes parents. Les gestes obscĂšnes qui mimaient des actes emplis de tant de cruautĂ© que j'en avais des frissons jusqu'au bout de la queue. Et jusqu'au jour oĂč... je me suis faite avoir. Alors mĂȘme que je sortais de la maison, un elfe noir thexien m'a prise par la peau du cou avec tant de facilitĂ© que je me sentais comme une poupĂ©e de chiffon ballotĂ©e dans tout les sens par un chien enragĂ©. Il m'a jetĂ©e contre le mur et m'a rĂ©clamĂ©e l'argent que je transportais pour aller faire nos courses de la semaine. Nous Ă©tions pauvres, et lui donner cet argent dĂ»ment gagnĂ© signifiait notre faim. Notre fin. Je ne me suis pas laissĂ©e faire, alors pour me punir, l'elfe noir me brisa la queue en deux. Il savait Ă quel point cela faisait souffrir les ratongas, et que leur fiertĂ© en prenait aussi un bon coup. J'en avais croisĂ© plusieurs dans la rue, la queue distordue, mais je ne m'Ă©tais jamais demandĂ© comment ils avaient pĂ» avoir ça. Je les appelaient "les difformes". Le soir mĂȘme, la queue brisĂ©e, je dĂ©cidais de quitter la ville.
Mes parents ne m'en voulurent pas, au contraire, cela faisait une bouche de moins Ă nourrir et ils connaissaient mon caractĂšre aventurier. Ils m'ont quand mĂȘme donnĂ© de quoi me dĂ©brouiller le temps d'arriver dans la ville dont tout le monde parlait Ă ce moment-lĂ : Qeynos. Une ville de "gentils" ou de "tapettes" comme ils disaient, mais c'Ă©tait une ville belle, agrĂ©able, oĂč les gardes ne brutalisaient pas les gens qu'ils devaient protĂ©ger. AprĂšs avoir dĂ» trahir ma ville natale (ce qui ne me fit ni chaud ni froid), je dĂ» entreprendre toute une sĂ©rie de services pour prouver Ă Qeynos que ma loyautĂ© serait sans faille.
C'est effectivement ce qui aurait du se passer. Mais lors de mon intronisation en tant que citoyenne respectable de Qeynos, je fus embarquĂ©e malgrĂ© moi dans une histoire dont je pensais qu'elle m'aiderait Ă me faire accepter. Il en fut malheureusement tout autre : croyant oeuvrer pour le bien de la ville, je fus au contraire le pion d'un complot visant Ă affaiblir la ville. Cela, je ne le su que lorsque les gardes en chef de Qeynos Nord me mirent Ă la porte avec interdiction de revenir. Il faut croire que certains qeynosiens dĂ©testent tellement les races telles que les ratongas qu'ils sont prĂȘts Ă les manipuler de maniĂšre Ă briser leur vie, encore plus lorsqu'ils peuvent en rĂ©colter quelque chose.
Que me restait-il comme option ? J'Ă©tais exilĂ©e pour la deuxiĂšme fois de ma vie, indĂ©sirable dans la ville surnommĂ©e "Terre Promise", et sans un sou en poche. DĂ©sespĂ©rĂ©e, j'errais dans Antonica lorsque j'entendis de la musique. Au loin se dressaient des tentes colorĂ©es et une foule de gens se pressaient autour de ce qui semblait ĂȘtre des marchands. IntriguĂ©e, je m'approchai et repĂ©rai une jeune semi-elfe qui Ă©tait en train de fabriquer des paniers tressĂ©s.
"Bonjour Madame, excusez-moi de vous déranger, que se passe-t'il ici ?
- Ah, bonjour - dit-elle en levant la tĂȘte et en me souriant - ce que vous voyez est le "festival ambulant des citĂ©s", ce mois-ci il s'arrĂȘte aux portes de Qeynos. Vous ĂȘtes intĂ©ressĂ©e par un meuble ? C'est moi qui les fabrique !
- Ah, ça serait avec plaisir mais je n'ai pas beaucoup d'argent alors... répondis-je en fouettant l'air de ma queue
- Bah, vous pouvez toujours donner un coup de main aux gĂ©rants, ils vous donneraient peut-ĂȘtre des bons d'achat ! Mais j'y pense... fit-elle en se levant de sa chaise, qu'est-ce qu'une ratongate fait ici ? Vous ĂȘtes en vacances ?
Je déglutis.
- A vrai dire... j'ai été mise à la porte contre ma volonté et je ne peux plus revenir à Qeynos.
La semi-elfe me regarda d'un air consterné.
- Mais... vous n'avez nulle part oĂč aller alors ?
- Oui, c'est à peu prÚs ça. C'est pour cela qu'un meuble ne me serait guÚre utile. répondis-je, honteuse.
Elle me fit un grand sourire.
- Ecoutez, si ça vous intéresse je connais un moyen de revenir à Qeynos.
- Ah oui, lequel ?!
- C'est simple : il suffit de devenir citoyen de Kelethin. Puis de demander à changer de citoyenneté une fois avoir prouvé que vos intensions sont bonnes. Ils ne vérifient pas le passé d'une personne qui vient de Kelethin, c'est le seul moyen que je connaisse actuellement pour revenir à Qeynos - Elle me regarda d'un air soupçonneux - Vous n'avez pas l'idée de mettre le bazar dans Qeynos j'espÚre ?
- Grands dieux, non ! - j'Ă©clatais de rire - Je cherche juste une ville oĂč il fait bon vivre, et le peu que j'en ai vu m'a conquise. Je veux y retourner, juste pour ĂȘtre en paix.
Elle Ă©clata de rire.
- Oui je comprends, moi non plus je ne suis pas de Qeynos mais cette ville a son charme, et c'est un des meilleurs endroits dans tout Norrath pour faire marcher mes affaires de charpenterie ! Vous voulez que je vous explique comment vous rendre Ă Kelethin ? Il faut prendre le bateau, puis le griffon, puis le cheval, c'est assez loin.
- On ne peut y aller par un moyen plus Ă©conomique ? Je n'ai pas beaucoup d'argent, pour ainsi dire pas du tout, ça m'embĂȘterait de commencer ma nouvelle vie en devenant membre clandestin d'un bateau. demandais-je en faisant mes comptes dans ma tĂȘte.
Elle me dévisagea et soupira.
- Ecoutez, vous avez l'air épuisée, je vais vous avancer l'argent de la traversée et vous me le rembourserez quand vous aurez trouvé un travail et que vous serez bien installé, ça vous va ? Je vous demande juste de distribuer quelques prospectus de publicité à Kelethin.
Mon coeur rata un battement.
- Ah, mais, euh, euh...
- Pas de mais ! Allez, j'ai encore du travail qui m'attends, tenez voilĂ deux piĂšces de platines, cela devrait suffire. Fit-elle en farfouillant dans la poche de son tablier.
Jamais de ma vie je n'eu autant d'argent d'un coup. Je me sentais redevable, mais aussi infiniment reconnaissante envers cette semi-elfe gentille et généreuse.
- Merci beaucoup, je m'en souviendrais toute ma vie.
- Contentez-vous de vous en souvenir jusqu'à ce que vous m'ayez remboursée. Au fait, je m'appelle Erydd de Lucline - elle me fit un clin d'oeil - tùchez de ne pas l'oublier ou vous aurez du mal à me retrouver !
- Moi c'est Grainne. Merci vraiment du fond du coeur, Madame Erydd."
C'est ainsi que moi, Grainne-Ă -la-queue-tordue, exilĂ©e par deux fois, pus Ă nouveau rentrer dans la ville de mes rĂȘves, un certificat de citoyennetĂ© de Qeynos dans une main, et une lettre de recommandation de la Reine de Kelethin dans l'autre."