"Rentre maintenant il fait nuit et tu vas prendre froid."
Un sourire pâle s'étirait sur ses lèvres blêmes en entendant la voix de sa mère. Elle l'avait toujours protégée du monde mais elle n'était plus depuis bien longtemps. Nulle raison funeste ni évènement terrible à sa mort, juste le temps qui s'était écoulé. Les jours avaient succédé aux jours et la douce vieillesse s'en était venue. Sa famille était bien implantée dans leur village mais quand sa mère s'était éteinte quelque chose était partie avec elle. Une digue avait cédé ensuite morceau par morceau.
Un rire silencieux, un mouvement de tête faible mais suffisant pour montrer qu'elle était encore en vie. Elle reprenait le fil de ses pensées. Cela avait un côté un peu dramatique qui lui plaisait bien mais en toute lucidité, elle avait toujours eu cette part de noirceur. Cela ferait quoi de se prendre un coup de couteau ? De tuer quelqu'un ? De surprendre un de ces pêcheurs ventrus au détour d'une rue ? C'est à ça qu'elle rêvait dans le silence du crépuscule et la présence de sa mère avait juste empêché qu'elle ne cherche les réponses aux drôles de questions qu'elle se posait.
Une digue avait bien cédé mais pas morceau par morceau. Meurtre par meurtre, telle était la réalité. Sans la voir, elle contemplait sa toute première cicatrice. Elle s'était poignardée pour savoir ce que cela faisait et n'avait pas trouvé cela bien pratique. Douloureux en plus. Comble, il avait fallu trouver un moyen pour se soigner discrètement.
Néanmoins, meurtre après meurtre, elle avait fait son petit bout de chemin avant de tomber sur plus fort et maintenant elle attendant la sentence finale. Dommage, il y avait bien des choses qu'elle voulait essayer. Enfin cela n'avait pas grande importance. La mort par pendaison, c'est ce qui lui était promis. Tout compte fait, la pendaison elle ne connaissait pas. Une dernière expérience en forme de pied de nez à la face de son monde puis, plus rien. Elle ne croyait pas beaucoup en la rédemption et toutes ces choses. Pouvoir effacer ses fautes en demandant pardon. Fadaises ! Elle ne l'avait pas fait pour les familles de ses victimes et ne le ferait jamais.
Demain tout serait achevé, pour l'éternité.
"Adieu gamine, t'auras gâché ta vie". Les dernières paroles du bourreau qu'elle emporterait dans le Néant.
"Bienvenue être Élu.
Hâtez-vous, nous avons peu de temps."
Sans être hystérique, la voix invitait à se presser. Élu. Fin du monde. Failles. Régulos. Les informations se bousculaient tandis qu'elle parlait aux êtres qu'elle croisait. Revenue pour aider à sauver le monde avec d'autres êtres Élus, c'est ce qui semblait être l'idée dominante. Quelque chose en elle lui disait que finalement la rédemption existait mais un réflexe venu d'elle ne savait où l'avait incité à s'approprier l'âme d'une créature pouvant se soigner. Elle se disait que cela lui aurait bien servi autrefois. Il fallait qu'elle s'arrête pour réfléchir mais dans le chaos ambiant, cela ne semblait pas être possible. Elle suivait donc le chemin qui s'ouvrait devant elle. "Je veux le contrôle !" pensa t elle quand deux créatures voulurent se mettre sur sa route et ainsi fut fait.
"Cette âme te donnera le contrôle. Tu en prendras les pouvoirs peu à peu." Qu'est-ce-que c'était bon. Elle en avait des frissons tout le long de la colonne vertébrale mais la rédemption muselait toutes ses autres pensées. Quand des Gardiens lui furent désignés comme les ennemis, elle résista à son envie de carnage. Après tout, pas la peine de les envoyer trop vite à la mort avec les forces de Régulos qui se déchaînaient. Qu'ils profitent du spectacle de la destruction. Non ! Non ! Une chance lui était offerte, elle s'amenderait. Ce futur n'existerait pas ! Sans vraiment savoir pourquoi, quelque chose lui disait que c'était bien.
Un dernier pas, le soleil éclatant de Libremarche, le bruit des canons. Elle avait respiré profondément et cela avait scellé celle qu'elle avait été. La rédemption serait sa voie. Les jours s'étaient succédés. Elle avait tué consciencieusement ceux qui lui étaient désignés. Bon petit soldat Renégat au service de l'intérêt supérieur. Il y avait ce plaisir à tuer qui ne la quittait jamais vraiment mais elle se retenait, ne faisait jamais plus que l'ordre donné et d'une façon propre, rapide, sans souffrance supplémentaire. L'époque était dure, les failles menaçaient et elle protégeait tout et tous ceux qu'elle pouvait.
Cela avait duré un moment jusqu'à une simple conversation. Un détail insignifiant sur la roue du temps, une phrase qui avait tout changé.
"Personne ne me connaît ici. Je peux tout recommencer."
Sur le coup elle n'avait pas relevé. Après tout elle était mal placée pour juger quelqu'un qui voulait avoir droit à sa deuxième chance. Un simple détail, insignifiant, il aurait suffit que l'on lui demande de faire les choses rapidement et elle n'aurait même pas pris la peine de discuter avec cette marchande mais comme un petit caillou pouvait déclencher un éboulement cette phrase avait fini par détruire l'idée de la rédemption. Elle était revenue sur ses pas peu après, avait tué gratuitement, comme ça juste pour le fait de pouvoir le faire et le plaisir avait éclaté en elle. En cet instant, tout était devenu jeu. Après tout, la mort n'avait pas voulu d'elle, alors pourquoi avoir peur d'un au-delà qui avait été aboli ?
Personne ne la connaissait ici et il était plus que temps de s'amuser.